Pourrons-nous résoudre nos problèmes environnementaux grâce à la technologie ? La géo-ingénierie pourrait le permettre, mais ce ne serait pas sans conséquences. Olivier Boucher, directeur de recherche au CNRS et chercheur au Laboratoire de météorologie dynamique a élaborés plusieurs scénarios climatiques intégrant la géo-ingénierie. Il explique à Nom de Zeus de quoi il en retourne.
Attention scoop : la planète se réchauffe. Le futur environnemental n’annonce pas de beaux jours mais face à l’urgence climatique les réactions semblent encore timorées, même si les deux plus grands pollueurs de la planète, Chine et États-Unis, viennent tout juste de ratifier l’accord de Paris. Devant les multiples prévisions alarmantes, l’idée que la science puisse pallier au réchauffement climatique semble donc séduisante. C’est ce qu’ambitionne la géo-ingénierie.
Géo-quoi ?
Tapez géo-ingénierie dans google, vous obtiendrez un gloubiboulga de fantasmes conspirationnistes qui voient dans les chemtrails une énième incarnation de l’on-nous-ment-isme, de délires gigantiques d’emirs souhaitant se construire des montagnes ou de scénario de science-fiction comme la terraformation de Mars ou la mise en orbite de miroirs ou parasols spatiaux géants. Revenons donc à plus de pragmatisme avec Olivier Boucher, qui a rédigé la partie du cinquième rapport du GIEC consacrée à la géo-ingénierie :« la définition est en effet à géométrie variable. Mais en considérant uniquement la géo-ingénierie du climat, je la définirais comme un ensemble de moyens techniques et technologiques cherchant à contrecarrer le réchauffement climatique et l’émission de gaz à effet de serre. Ces techniques se classent en deux catégories :
- Les techniques de diminution de la quantité de rayonnements solaires pour refroidir le climat.
- Les techniques de captation et stockage du CO2 présent dans l’atmosphère. »

Le premier volet est celui qui suscite le plus de fantasmes. Et ce n’est pas nouveau. S’appuyant sur la relative opacité du programme américain Haarp de recherche sur l’ionosphère et sur l’idée selon laquelle les avions de ligne pulvériseraient volontairement des métaux lourds dans l’atmosphère, une peur obsidionale entoure ces techniques de géo-ingénierie. L’extrait du dessin animé Danger Mouse (1980) ci-dessous et les commentaires rajoutés résument assez bien la situation.
Pourtant, « à l’heure actuelle, en terme de gestion du rayonnement solaire, on ne sait pas faire grand chose, estime Olivier Boucher. Même si technologiquement parlant, ce ne sont pas des choses impossibles. Un programme de recherche d’une à deux décennies suffirait à développer un système qui injecterait des particules de soufre dans l’atmosphère, par exemple ».
S’inspirer de la nature
L’idée n’est pas nouvelle. En 1991, le prix Nobel Paul Crutzen a proposé d’injecter du soufre sous forme d’aérosols de sulfate pour augmenter le phénomène d’albédo atmosphérique. Il souhaitait ainsi reproduire des mécanismes naturels se produisant lors des éruptions volcaniques. « Concernant les autres projets, comme les miroirs dans l’espace, etc. on est beaucoup plus dans de la science-fiction, assure le climatologue. Même le CNES estime que ça relève de l’impossible dans un futur envisageable ».
Côté captation du CO2 en revanche, nous en savons un peu plus. « Pour commencer, on peut utiliser la biologie. Tout bêtement, on plante plus d’arbres, donc on capte plus de CO2. On peut également utiliser des techniques géologiques : on sait que certaines roches réagissent avec le CO2, donc on casse ces roches pour provoquer la réaction chimique ». Ce procédé de carbonatation existe déjà de manière naturelle, mais c’est un processus qui s’inscrit sur des millions d’années. « Si nous voulons raccourcir cette échelle de temps, nous devrons alors tripler notre activité minière. Troisième possibilité : le chimique. Il s’agit de faire réagir le CO2 de l’atmosphère avec des solvants chimiques, qu’il faudrait pulvériser pour que ce dernier se fixe ».

“Personne ne voudra vivre à côté de stocks de CO2”
Mais tout cela n’est pas si simple. « Nous ferons face à un très gros problème de stockage. Et à un non moins gros problème d’échelle. Nous parlons là de centaines de milliards de tonnes de CO2. Il sera très difficile de stocker tout ça. Et pour les petites quantités que nous arrivons à stocker, nous nous heurtons au même problème que pour les déchets nucléaires. Personne ne sera ravi de vivre à côté de stocks de CO2 ».
Tout ceci, on sait faire, on pourrait le faire. Mais est-ce souhaitable ? « Ces solutions sont des techniques extrêmes, rappelle le scientifique. Elles ne doivent être envisagées qu’en dernier recours. Elles auront des effets secondaires, connus ou non et comportent des tas de risques. Il faut bien comprendre que le climat n’est pas quelque chose que l’on maîtrise, ni même que l’on comprend totalement. Si nous utilisons ces technologies, cela va modifier les précipitations et certains climats régionaux vont changer. Ces changements ne seront peut-être pas avantageux pour tout le monde, et nous n’avons aucune idée de qui sera avantagé et qui ne le sera pas ».
D’autant qu’il ne pourrait s’agir que d’entreprises à très grande échelle, ayant un coût extrêmement élevé. « Un coût financier, mais aussi énergétique, rappelle Olivier Boucher. Si nous devions utiliser des tonnes d’énergies fossiles pour mettre ces techniques en œuvre, quel intérêt ? »
Deuxième problème, les particules ne restent pas indéfiniment dans l’atmosphère. « Ce qui signifie qu’une fois engagé dans cette procédure, soit nous continuons à pulvériser jusqu’à ce que le climat se régule, c’est à dire pendant très longtemps. Soit on arrête, mais nous ferons alors face à ce qu’on appelle un effet de rattrapage climatique, dû au réchauffement plus rapide des océans, et nous perdrons probablement tout le bénéfice en une décennie ».
Par ailleurs, quels que soient nos choix à l’avenir, nous devrons impérativement réduire notre consommation de combustibles fossiles. « Si on décide que, puisqu’on a ces technologies de géo-ingénierie, alors allons-y, cramons toutes nos énergies fossiles, il faudra des millénaires pour revenir à la normale. Donc même avec des aérosols, il faut impérativement que nous réduisions notre consommation d’énergies fossiles. À chaque décennie de retard dans notre diminution d’énergies fossiles, on en prendra pour un siècle d’injection d’aérosols ».
Une technologie déjà prise en compte
Car justement, la géo-ingénierie intéresse tout particulièrement les partisans du business as usual, car après tout, puisque la technologie peut pallier au changement climatique, alors pourquoi s’inquiéter ? Pourquoi arrêter de polluer ? « C’est vrai que ça peut être démotivant, mais on peut aussi prendre le contre-pied et estimer que la recherche sur la géo-ingénierie peut aussi faire prendre conscience des problèmes et nous ramener vers plus de raison. Il serait inconscient d’ignorer ces techniques, ou de ne pas chercher à les comprendre. D’autant qu’il faut bien avoir en tête que toutes les prévisions en dessous de 2° à la fin du siècle (et même moins pour les plus ambitieux) dont on a parlé durant toute la COP21 prennent déjà en compte des techniques de captation du CO2″.
Il faudra donc faire avec. « Atteindre l’objectif des 2°C sans captation de CO2 nécessite des réductions d’émissions extrêmement rapides. Et si la diminution est plus graduée, alors cela impliquera nécessairement de la géo-ingénierie d’ici à 2050 pour compenser par “émissions négatives” le surplus d’émissions de gaz à effet de serre. C’est une course contre la montre, et plus on prend du retard, plus on devra s’appuyer d’ici la fin du siècle sur des techniques que l’on ne maîtrise pas encore. Cela dit, d’ici 2100, il peut se passer énormément de choses d’un point de vue technologique ».
Le curseur se situe en général au fameux “pic d’émissions” de CO2. « Même en admettant que nous l’atteignions en 2020, ce qui est très, très, improbable, nous devrons probablement avoir quand même recours aux émissions négatives après 2050 pour atteindre l’objectif des 2 degrés. Mais si nous l’atteignons en 2030, alors nous le dépasserons d’ici 2100« . Et rappelons-le, un monde plus chaud de 4°C ne ressemble pas vraiment au jardin d’Eden. « Mais dans tous les cas il faudra s’adapter au réchauffement climatique ».
Mais la géo-ingénierie pose un autre problème. Que se passe-t-il si un acteur (état, entreprise privée, individu) se met en tête de modifier le climat ou l’environnement grâce à ces techniques ? Il y a quelques années, un entrepreneur américain a défrayé la chronique en tentant de “fertiliser” l’océan pacifique en y déversant des tonnes de sulfate de fer. Plus récemment, Dubaï a annoncé vouloir créer une montagne artificielle afin de réguler son climat.
Le nouveau projet fou de Dubaï : construire une montagne artificielle.https://t.co/eJMmtZx5el pic.twitter.com/hB0Nbbn0k1
— Ulyces (@UlycesEditions) 5 mai 2016
« Ça me semble plus correspondre à une volonté de modifier le temps que le climat en lui-même, estime le météorologue. Mais cette volonté n’est pas neuve, elle a même eu son heure de gloire dans les années 1970, avant d’être largement délaissée. Mais pourquoi pas. Sur le papier c’est assez simple : vous mettez une montagne, l’air monte et se refroidit, il y a formation d’eau condensée, il pleut. Dans la pratique, cela sera sans doute plus compliqué ».
« Si toutefois la volonté est réellement de refroidir leur climat, alors il va y avoir un problème, là encore, d’échelle. Un refroidissement artificiel très localisé, disons de 10 km autour de Dubaï, n’est pas gagné d’avance. Et plus le refroidissement est de grande échelle, plus il risque d’avoir un impact sur les pays voisins. Et plus le refroidissement est de grande échelle, plus il risquerait d’avoir un impact sur les pays voisins ».
“Qui règle le thermostat mondial ?”
Petite précision, à 150 kilomètres au large de Dubaï se trouve l’Iran, un pays avec lequel les Émirats n’entretiennent pas vraiment des relations diplomatiques cordiales. Ce dernier pourrait assez mal prendre le fait que l’hypothétique nouvelle montagne dubaïote ait des conséquences climatiques sur son territoire. Pourtant, cela n’aurait a priori rien d’illégal. « À ma connaissance, il n’y a pas de législation internationale à ce sujet. Un traité interdit seulement l’usage militaire de la géo-ingénierie, mais a priori rien n’empêche un acteur isolé de se lancer dans une entreprise de géo-ingénierie locale ».
« Oui, ça soulève une nouvelle fois la question de qui règle le thermostat mondial ». Le climat est souvent vu comme une entité planétaire relativement homogène, car le problème est mondial, mais les climats régionaux sont tenaces et possèdent leurs antagonismes propres. « Bien sûr, les intérêts déjà contradictoires existants autour du climat seront exacerbés dans le futur. Déjà aujourd’hui, on constate que les Russes, par exemple, ne mettent pas un enthousiasme fou dans les discussions autour du climat. Bon personnellement, quand je vois le permafrost fondre et libérer de l’anthrax [ou pire, NDLR], j’ai des doutes sur le fait qu’ils soient gagnants à long terme mais ça montre qu’il faut mieux comprendre les climats régionaux, ce qui n’était pas étudié jusqu’à maintenant ».
Pour aller plus loin :
- Climat : nous ne pourrons plus éviter les catastrophes
- Rapport ARD-REAGIR
- COP21, et maintenant ?
- Les apprentis-sorciers du climat – Arte
Je me pose beaucoup de questions, surtout une que se passe-t-il quand on absorbe
cela dans nos poumons ?stockage de CO2 avec les produits chimiques et tout se poussière de roche et les sel de mer dans le ciel mais tout ça on va l’absorber donc ?? WHAT!!!